Mastère de Presse Culturelle / Dossier "Scénarios sous la supervision de Natalie David-Weill : Une scène imaginée par Margaux Cassan
Les étudiants du Mastère de Presse Culturelle ont suivi le cours de Nathalie David-Weill, sur le scénario. Nous vous partageons, quelques extrais de ces scénarios, les plus belles scènes imaginées et écrites par ces étudiants.
Beyrouth. Majdouline est chez sa mère pour le déjeuner dominical du mois, auquel elle assiste par convenance. L’échéance de l’envoi de son livre sur Hajar est à 13H. Il est 12H50 comme l’indique l’horloge du salon. Sur la table basse, un plateau rempli de gâteaux au miel.
Intérieur jour, maison bourgeoise.
MÈRE DE MAJDOULINE
Mado, tu viens me voir une fois par mois, tu veux pas sortir ton nez de ton livre ? Je t’ai acheté des gâteaux au miel comme quand tu étais petite.
MAJDOULINE
J’ai presque fini! C’est presque fini. Attends, je relis. Ok, alors: j’ai envoyé mon pitch, mon nom, mon numéro de téléphone, mon adresse et la liste de mes livres. J'ai expliqué mes motivations. J'ai dit pourquoi c'était moi et personne d'autre qu'ils devaient publier. Moi et personne d’autre.
MÈRE
Mado, tu m’écoutes?
MAJDOULINE
Il faut que j'arrête de fixer nerveusement la date limite. C'est aujourd'hui. C'est maintenant. Je dois le faire.
Majdouline inspire et clique sur son ordinateur.
MAJDOULINE
A sa mère, en chantonnant
Envoyé, envoyé!
Elle se lève pour embrasser sa mère.
MÈRE, évasive
Ah, bon.
MAJDOULINE
C’est drôle que mon livre ne t’ait jamais intéressé.
MÈRE
Voyons chérie.
MAJDOULINE
Tu ne m’as jamais demandé de quoi il parlait. Ça pourrait te concerner pourtant…
MÈRE, soudain intéressée
Ah bon? Raconte alors!
MAJDOULINE
C’est l’histoire d’une femme qui raconte comment elle s’est libérée du joug d’une mère bourgeoise grâce à son psychiatre. Sur le divan, sa mère, elle l’a tuée à répétition, tuée comme on souffle sur une bougie farceuse, qui se rallume à chaque fois, et qu'on est obligé d'éteindre une seconde fois, puis une troisième, une quatrième, et mille fois, c'est interminable, jusqu'à ce que finalement le jeu cesse et que ça devient un enfer de fêter son anniversaire, tellement on a plus de souffle dans le ventre. Sa mère, comme la bougie, renaît de ses cendres, sans arrêt. Et à chaque fois, elle doit la tuer à nouveau. Elle a tué son enfance de petite bourgeoise, les serviettes brodées à son nom et puis les gâteaux au miel qui dégoulinent sur les doigts, les draps qui sentent la lavande et les fessées de sa mère, bien portées sur ses fesses dodues. Elle a tué le germe de grosse dont elle a hérité, le menton et demi greffé sous son visage, l'hypocrisie des douceurs maternelles ponctuées par ces claques, répétées, sur ses joues creuses. C’est un livre sur l’enfance.
Silence.
MAJDOULINE
Bah alors, maman? Je rigole! Tu as eu peur? C’est un film sur une femme dans la Bible.
MÈRE, la voix étouffée
Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu n’aimais pas les gâteaux au miel?
Margaux Cassan